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Quand la loi sur le séparatisme rime avec méconnaissance du protestantisme

Alors que le projet de loi est débattu ces jours à l’Assemblée nationale, de nombreuses voix dénoncent l’ignorance et les approximations du gouvernement face au protestantisme et plus particulièrement sa frange évangélique. Interview avec Sébastien Fath, historien et spécialiste des protestantismes au CNRS.

Les évangéliques seraient-ils devenus «la caution égalitariste» du projet de loi contre le séparatisme? C’est en tout cas ce que dénonce le Conseil national des évangéliques de France (CNEF). «Le CNEF a observé, à regret, que les protestants évangéliques servent parfois aux autorités, plus souvent à certains médias, de « caution égalitariste », et ce dans un souci de non-discrimination d’une religion par rapport aux autres (concrètement, ne pas cibler uniquement l’islam avec cette loi, ndlr.)», s’est-il exprimé, déjà en automne 2020, par voie de communiqué.

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Depuis, les accusations et approximations de membres du gouvernement français face à cette frange du protestantisme se sont enchaînées: le 10 janvier 2021, la ministre déléguée en charge de la citoyenneté Marlène Schiappa mentionnait sur France 3 l’utilisation de «certificats de virginité», quand le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin accusait, le 2 février 2021 sur CNews, les évangéliques de représenter «un problème très important» en France. Des prises de parole dénoncées depuis par l’ensemble des représentants protestants, mais qui interrogent quant à l’ignorance des pouvoirs politiques face aux spécificités protestantes. Dans une tribune publiée par le Figaro, le 5 février, Sébastien Fath, historien et spécialiste des protestantismes au CNRS, répondait clairement à ces attaques, attestant cette notion de «caution égalitariste»: «Pour éviter de donner le sentiment de ne regarder que dans une direction, on pointe d’autres menaces religieuses», écrit-il. Une rhétorique qui «revient à entretenir la confusion», déplore-t-il. Interview.

Quel regard portez-vous sur ce projet de loi sur le séparatisme?

Un fondement du pacte laïc français de 1905 est écorné. Ce fondement, c’est la séparation des Églises et de l’État, et le principe de non-reconnaissance par l’État de la religion. Quand Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des cultes, affirme, devant la représentation nationale, que la loi actuelle renforce 1905, on croit presque lire du Georges Orwell. Car la réalité est à l’opposé de ce qu’il affirme.

Le pacte de 1905 ne se trouve pas renforcé, mais contesté et fragilisé via la remise en cause du principe de séparation stricte État-religion. Plutôt que de renforcer la liberté de conscience et de garantir la liberté de culte, ce projet gouvernemental renforce le contrôle sur les cultes.

En quoi cette nouvelle loi représente-t-elle une menace pour les protestants de France?

Cela pose problème pour les protestants, car l’histoire de France nous rappelle que la non-séparation État-religions s’est toujours faite sur le dos des minoritaires. Contrairement à une opinion courante, les discriminations contre les protestants ne remontent pas seulement à la monarchie d’Ancien Régime. En plein XIXe siècle, on a continué, en France, à emprisonner des pasteurs, car ils appartenaient à un culte non-reconnu et qu’ils se permettaient d’évangéliser. Rien que pour les baptistes, on estime à une vingtaine les pasteurs, colporteurs et laïcs incarcérés, principalement sous le Second Empire. Remettre en cause le principe de séparation État-religions, c’est courir le risque de réveiller un monstre qui dort, le monstre de l’intolérance et de la discrimination.

Que vous inspire les propos de Marlène Schiappa sur les certificats de virginité qui circuleraient dans le monde évangélique, ou les attaques de Gérald Darmanin sur cette frange du protestantisme?

La séquence actuelle, accompagnée de multiples erreurs et approximations ministérielles interpelle. On découvre l’incroyable niveau d’ignorance des politiques vis-à-vis du religieux, et notamment du protestantisme. On pourrait à la limite faire l’hypothèse qu’un détricotage de la séparation de 1905 serait concevable dans le scénario d’une interconnaissance respectueuse entre acteur étatique et acteur religieux. Cela serait de nature à rassurer un peu, avec des politiques qui connaissent les religions. Or, c’est le contraire qui s’est affiché sous nos yeux ces dernières semaines, en particulier en ce qui concerne le protestantisme évangélique.

Qu’est-ce qui vous a le plus choqué dans ces approximations?

Gérald Darmanin les a à plusieurs reprises qualifiés «d’évangélistes» (sic), les a distingués du protestantisme, a estimé qu’ils ne relevaient pas du format 1905. Trois énormités, qu’il n’a pas su corriger puisqu’il a encore répété ces erreurs il y a quelques jours, après les avoir proférées une première fois le 23 janvier 2021. Albert Camus nous rappelle que «mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde». Mal nommer les acteurs protestants, évangéliques ou pas, c’est rabaisser la raison politique et réveiller des monstres. Et on nage en pleine contradiction. Comment prétendre contrôler ce qu’on ne connaît pas, qu’on ne sait pas nommer ni évaluer?

Plus largement, que révèle cette loi sur le rapport qu’entretient le pouvoir politique au religieux?

On fait face aujourd’hui à une surfocalisation sur le religieux, et parallèlement à une sous-focalisation sur l’effort de mixité sociale, sur l’emploi, sur une école réellement républicaine et de qualité, qui tire les enfants vers le haut au lieu de se transformer en garderie de consommateurs. Ne tombons pas dans l’angélisme: s’intéresser au mode d’organisation des religions n’est pas antirépublicain en soi. Il est légitime que la République française s’interroge sur les discours séparatistes, y compris religieux, dans le contexte de la violence islamiste répétée qui a frappé le territoire. Mais la loi sur le séparatisme telle qu’elle est présentée actuellement surfocalise sur cet élément religieux, et néglige d’autres aspects pourtant majeurs. La religion serait-elle un bouc émissaire des échecs de la République?

C’est-à-dire ?

Plus l’État enfle, mais échoue à stimuler les dynamiques solidaires, plus il est tenté de pointer du doigt des coupables extra-politiques. On le voit avec la Chine, où l’État policier tente de cacher certains échecs sociétaux en accusant les religions, notamment les chrétiens, dont l’essor est pourtant une bonne nouvelle pour le pays. La France n’a pas forcément vocation à s’inspirer de la Chine. La société civile, dont les religions font partie, n’est pas a priori une menace, mais une ressource pour faire vivre la mixité, l’éducation aux valeurs, la solidarité concrète. Et même l’espérance.

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