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La tragédie des chrétiens persécutés du Moyen-Orient

Pourquoi les Américains ne s’intéressent-ils pas au sort tragique des chrétiens persécutés du Moyen-Orient ? Le Dr John Eibner, responsable de mission pour le Moyen-Orient de Christian Solidarity International (CSI), nous livre son analyse à travers une interview accordée au journaliste Daniel Kaiser.

Le responsable de mission Christian Solidarity International (CSI) pour le Moyen-Orient, John Eibner, se préoccupe des chrétiens persécutés du Moyen-Orient. Son engagement de sept ans dans cette région l’a transformé en critique acrimonieux de la guerre civile en Syrie, ainsi que de la politique étrangère des USA et de l’UE. Pour quelqu’un qui, à l’époque, avait encore applaudi lors de l’invasion des Américains en Irak, c’est une réorientation fondamentale. En juillet 2015, le pape François a déclaré que les chrétiens du Moyen-Orient étaient exposés à un génocide. Selon John Eibner, aujourd’hui, la disparition des chrétiens pourrait encore être endiguée au dernier moment et ainsi le pluralisme religieux, qui était caractéristique de l’histoire du Moyen-Orient, pourrait être maintenu.

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Les adolescents en Syrie continuent à espérer - CSI

Les adolescents en Syrie continuent à espérer – CSI

Interview

Quel scénario vous semble le plus probable aujourd’hui ?

John Eibner : Si le développement actuel continue, les chrétiens du Moyen-Orient subiront le même sort que les juifs. Prenons l’Irak : pendant des milliers d’années, des juifs y vivaient. L’Irak actuel faisait partie du royaume de Babylone. La communauté juive y était bien connectée et avait de l’influence. En 1948 encore, quelque 130 000 juifs vivaient en Irak. Aujourd’hui, il y en a tout juste 10 ! (depuis cet entretien, ceux-ci ont également été emmenés par le gouvernement israélien – remarque de la rédaction). Et ce déclin se constatait un peu partout dans la région, quoique de façon moins marquée.

Quand cette situation a-t-elle commencé ?

Après la Seconde Guerre mondiale et la création de l’État d’Israël. J’ai eu une rencontre intéressante dans un village chrétien, près de Mossoul (cette ville a été pratiquement construite sur les ruines de la ville biblique de Ninive). Dans ce village se trouve une ancienne synagogue qui est consacrée à un prophète biblique qui serait né ici, selon la tradition juive. Ce village était donc un lieu de pèlerinage important. Evidemment, plus un seul juif ne vit dans ce village aujourd’hui, et la synagogue est dans un état déplorable. J’ai pu parler avec une chrétienne qui avait grandi dans ce village et avait déménagé après son mariage. Après la chute de Saddam Hussein, son mari et son fils avaient été assassinés par des djihadistes, et elle n’a pas eu d’autre choix que de rentrer dans son village natal.

Elle m’a raconté sa vie : petite fille, elle a vu l’expulsion des juifs. En 1950, elle était avec ses parents auprès d’une famille juive qui, avant de partir, voulait encore vendre les meubles qu’elle ne pouvait pas emporter. Une personne présente se moquait de la famille juive et l’insultait. Alors une juive lui a répondu : « Prends garde. Comme le dimanche suit le samedi, ainsi ce sera le tour du peuple du dimanche après le peuple du samedi. » À cette époque, la chrétienne que j’ai rencontrée n’avait pas compris ces paroles. Aujourd’hui, elle comprend quelles puissances sont à l’œuvre.

Le nettoyage des chrétiens a eu lieu cinquante, soixante ans après le nettoyage des juifs. Quel a été l’élément déclencheur ?

Les génocides ou les nettoyages ont leurs acteurs, mais ils ont toujours lieu dans un certain contexte politique et idéologique. Dans le cas actuel, les acteurs sont naturellement les djihadistes, mais leur apparition a été conditionnée par l’ingérence de puissances extérieures. Ici, nous ne pouvons pas éviter un bref regard dans l’histoire : dans les temps modernes, les minorités religieuses du Moyen-Orient bénéficiaient toujours d’une puissance protectrice. Dans l’Empire ottoman, on a imposé aux chrétiens et juifs quelques ordonnances qu’ils devaient respecter. Un exemple : si on les soupçonnait d’insurrection, ils pouvaient être éradiqués. Mais s’ils respectaient les ordonnances, ils restaient sous la protection du souverain. Ils avaient le droit de construire des églises et des synagogues et de célébrer des services religieux. Après la Première Guerre mondiale, les Ottomans ont été relayés par le mandat britannique et français de la Société des Nations. Les Anglais et les Français ont également accordé leur protection aux minorités : c’était un apogée pour elles. Aux puissances européennes ont succédé les dictatures nationalistes arabes. Selon leur idéologie, tous – Arabes, sunnites, chiites, chrétiens – faisaient partie d’une seule nation.

L’époque des dictatures nationalistes s’est terminée avec l’invasion des USA en Irak et ensuite, de façon définitive, avec le soi-disant Printemps arabe. Mais cette fois, aucune puissance protectrice n’a succédé à l’ancienne, déchue. La dite Opération Liberté irakienne s’est terminée avec la chute de Saddam Hussein, mais les Américains n’étaient pas capables, ou pas disposés à créer un ordre politique dans lequel serait garantie une sécurité minimale pour tous.

Les Américains étaient-ils incapables ou pas disposés?

C’est ça la question. Moi, je dirais « pas disposés ». La nouvelle forme de l’impérialisme est encore plus irresponsable que l’ancienne. Les Anglais et les Français garantissaient l’ordre. La forme moderne de l’impérialisme, notamment au Moyen-Orient, se fixe sur la protection de ses propres intérêts stratégiques et économiques en oubliant la population. Aujourd’hui, nous payons moins cher le pétrole qu’il y a dix ou quinze ans. Comment cela est-il possible dans une région où d’habitude le chaos et les révolutions règnent ? C’est possible parce que nous avons fondé un système qui protège ces intérêts économiques.

Est-ce que ce n’est pas surtout l’exploitation de nouveaux gisements de pétrole qui est responsable des prix en baisse du pétrole ?

Ceci est bien entendu également un facteur, mais le pétrole en Irak est de plus en plus exploité. On constate que de nombreux chrétiens irakiens ont été assassinés, de nombreuses églises et institutions ecclésiastiques attaquées. J’attends encore que quelqu’un me montre combien de pipelines ont été attaqués dans cette période, ou combien de directeurs d’exploitations de pétrole ont été enlevés ou assassinés.

À vous entendre parler, vous semblez considérer l’invasion de l’Irak d’un œil assez critique…

C’est juste. Pourtant, en 2003, j’avais encore soutenu l’invasion. J’avais cru ce qu’on nous racontait à propos des armes de destruction massive, et qu’il s’agissait d’une transition menant à la démocratie… et ceci pas seulement en Irak.

La tentative des Américains d’établir une démocratie en Irak a-t-elle été vouée à l’échec dès le début, ou aurait-elle pu réussir sous d’autres conditions ?
Je ne dirais pas directement que cette tentative était vouée à l’échec, mais nous aurions dû, dès le début, prendre une responsabilité impérialiste. À cela, notre gouvernement n’était pas prêt. Au lieu de cela, on s’est contenté de dire : si nous n’avons pas assez de forces armées pour contrôler tout le pays, nous nous concentrons sur la défense de nos intérêts stratégiques et économiques.

Lorsque dans les années 1980, j’ai participé en Europe de l’Est à des actions anticommunistes, notre travail était en accord avec la politique de l’Est. Au Moyen-Orient, ce n’est pas ainsi. Moi, personnellement, j’approuvais aussi l’invasion de l’Irak parce que, dans mes pensées, je vivais encore dans le bon vieux temps. Aujourd’hui, nous devons constater que depuis le déferlement de la Horde d’or mongole au Moyen-Orient, il n’y a pas eu de telles destructions ni mises à mort massives comme maintenant. (Bagdad est tombée en l’an 1258 dans les mains des Mongoles. Une partie des historiens considèrent cette date comme la fin de la civilisation islamique classique – remarque de la rédaction.)

Comment évaluez-vous les performances de M. Obama dans cette région ?

La tactique a changé. Tandis que les USA sous le président Bush ont imposé leurs intérêts avec une forte présence militaire, nous misons aujourd’hui plutôt sur une guerre hybride. Mais les intérêts restent les mêmes. Selon la doctrine du président Obama, les USA restent plutôt à l’arrière-plan et comptent sur leurs alliés dans la région – le Qatar, l’Arabie saoudite et la Turquie. Lorsque le Printemps arabe a commencé, l’Amérique a soutenu partout un changement de régime. Par contre, les USA n’ont pas soutenu la contre-révolution en Égypte, alors que celle-ci garantissait la stabilité. Ainsi, le chaos qui règne aujourd’hui en Irak et en Syrie, a été arrêté en Egypte.

En ce qui concerne la Syrie, il faut constater que, jusqu’à présent, le régime du président Assad ne s’est pas effondré. Il continue à être soutenu par une partie importante de la population – difficile à dire, mais c’est peut-être même la majorité. Il n’y a, par exemple, pas eu d’insurrection à Damas. Malheureusement, Washington reprend aujourd’hui en Syrie la stratégie qu’elle a déjà appliquée en Afghanistan dans les années 1980 : le soutien des djihadistes. L’Amérique n’avait pas soutenu les moudjahidin par amour pour le djihad, mais pour saigner l’Union soviétique. Cependant, les USA ont poursuivi ce soutien après la chute du communisme.

Aujourd’hui, en Syrie, Washington tente de se débarrasser d’Assad qui est allié avec deux ennemis traditionnels des USA : Moscou et Téhéran. Parce qu’ils n’ont pas réussi à éliminer Assad avec l’opposition modérée, les Américains ont commencé à soutenir des forces radicales. Ce faisant, l’Amérique poursuit ses objectifs traditionnels : concernant l’Iran, le croissant chiite qui s’étend de l’Iran, l’Irak et la Syrie jusqu’au Liban et au Hezbollah, doit être désagrégé. En ce qui concerne la Russie, avec la chute de la Syrie, elle doit être complètement écartée du Moyen-Orient. La Syrie a le malheur d’être devenue le théâtre d’une guerre par procuration. D’un côté se trouvent l’Amérique et ses alliés, notamment les pays sunnites Turquie, Arabie saoudite et Qatar. De l’autre côté, les pays qui ne font pas partie, et ne veulent aussi pas faire partie de l’alliance américaine globale en matière de sécurité : l’Iran et la Russie.

Votre thèse est donc que les USA ont sacrifié les chrétiens du Moyen-Orient aux intérêts géopolitiques ?

Oui. Non pas que les Américains exterminent les chrétiens de leurs propres mains. Il suffit qu’ils ne s’intéressent pas à eux. Les chrétiens sont victimes des intérêts géopolitiques américains. Le souci de l’Amérique s’oriente vers le rapport de force hybride qu’elle a avec la Russie, nullement vers les minorités chrétiennes qui se voient aspirées dans ce tir à la corde. Je ne suis pas un adepte d’Assad, mais dans la région qu’il contrôle, les minorités sont protégées. En revanche, le nettoyage religieux ravage partout où un groupe rebelle domine. Un immense territoire s’étendant de la côte nord-ouest de la Syrie jusque près de Bagdad est aujourd’hui « nettoyé » des chrétiens – que les parties du territoire soient ou non dominées par l’État islamique, le Front al-Nosra ou l’Armée syrienne libre.

Aujourd’hui, même le général Petraeus qualifie le Front al-Nosra de modéré ; pourtant l’al-Nosra fait partie d’Al-Qaïda. Donc, aujourd’hui, il y a des personnes dans l’élite dirigeante qui envisagent ouvertement l’armement de tels groupes radicaux. D’ailleurs, nous parlons de façon semblable aussi de l’Arabie saoudite. En Amérique, l’Arabie saoudite est parfois considérée comme un État islamique modéré. Ici, modéré signifie donc : à la maison, on fait ce qu’on veut, mais dans la politique étrangère, on se plie aux intérêts américains.

Aux USA, quelle attention est prêtée au sort des chrétiens du Moyen-Orient ?

Une très faible attention. En 2008, j’ai voyagé pour la première fois en Irak pendant une vague de violence antichrétienne. Les chrétiens ont été tués et chassés de Mossoul, de Bagdad et d’autres villes. Nous avons lancé une campagne aux USA qui a cependant échoué. Nous n’avons pas obtenu de soutien politique. Le président de l’époque, M. Bush, avait gagné la présidentielle grâce au soutien de chrétiens conservateurs. Sans eux, il ne serait pas entré à la Maison-Blanche. Son arrangement tacite avec eux se rapportait à la politique intérieure ; par exemple, il devait faire en sorte que les conservateurs obtiennent la majorité à la Cour suprême.

La droite chrétienne aux USA s’intéresse beaucoup à l’État d’Israël. Pourquoi n’étend-elle pas son intérêt aux chrétiens du Moyen-Orient ?
C’est une très bonne question. Il y a quelques années, j’ai posé la même question à mon ancien ami Daniel Pipes. À l’époque, M. Bush régnait encore à la Maison-Blanche. J’ai rencontré Daniel par hasard dans le métro à Washington. Il était justement sur le chemin de retour d’une conférence de trois jours au Capitole qui avait été organisée par Christians United for Israel. Pendant trois jours, des députés et des représentants de diverses autorités se produisaient – c’était une grande chose. Daniel, un sioniste, était naturellement très content. Je lui ai demandé : Dan, je suis devant une énigme. Pourquoi personne ne fonde un groupe Christians United for Persecuted Christians (Union Chrétienne pour les Chrétiens Persécutés) ? Il n’avait pas de réponse, mais m’a promis d’y réfléchir. Six mois plus tard, je l’ai à nouveau abordé à ce sujet – il n’avait toujours pas de réponse.

Avez-vous vous-même cette réponse ?

Les chrétiens d’Amérique sont majoritairement protestants. Les Églises protestantes ne reconnaissent pas comme chrétiens la plupart des chrétiens orientaux. Au Moyen-Orient, il y a des chrétiens orthodoxes, coptes, syriens et autres. Lorsqu’un américain moyen, protestant, voit un de leurs évêques – sûrement avec le teint foncé, une longue barbe et un vêtement bizarre – il pense donc : De quoi il a l’air, celui-là ? En Amérique, les protestants ne reconnaissent souvent même pas les catholiques comme chrétiens ; la reconnaissance mutuelle entre les groupes chrétiens, monnaie courante ici en Europe, n’est pas répandue en Amérique.

Par contre, les protestants peuvent s’identifier plus facilement avec Israël parce que là, il s’agit de l’histoire biblique : ils ont le sentiment qu’en soutenant Israël, ils peuvent influencer la fin du monde conformément à la prophétie annoncée dans la Bible. Néanmoins, je pense que si les responsables d’Églises se positionnaient clairement, la plupart des protestants américains adopteraient la cause des chrétiens du Moyen-Orient. Mais il y a quelques années, c’est en vain qu’on attendait une parole claire – je suppose, à cause de l’engagement pris avec M. Bush selon lequel les chrétiens conservateurs ne dépasseraient pas le domaine de la politique intérieure. Certaines déclarations au sujet de ce qu’on pourrait mieux faire en Irak auraient peut-être affaibli M. Bush.

Vous parliez des protestants – qu’en est-il de l’Église catholique ?

Le pape Benoît XVI, et le pape François ont évoqué à plusieurs reprises le sort des chrétiens au Moyen-Orient et ont lancé des appels à la prière. Mais lorsque je me rends dans une église catholique en Europe ou en Amérique, je n’entends que rarement quelqu’un y mentionner les chrétiens du Moyen-Orient. D’une manière ou d’une autre, la connexion entre le Vatican et les paroisses semblent interrompues à ce sujet. On n’entend aussi pas grand-chose de la part des évêques : ils se soucient davantage du maintien du dialogue interreligieux.

Aujourd’hui, une grande partie des politiciens et intellectuels chrétiens refusent – nous le voyons aussi en Tchétchénie – d’aider en priorité les chrétiens afin que personne ne puisse les accuser de faire de la discrimination envers les musulmans.

C’est un signe du déclin du christianisme en Europe et en Amérique du Nord. Pouvez-vous imaginer des dirigeants juifs dire, en voyant des juifs discriminés : Nous ne pouvons pas les aider maintenant parce que nous ne pouvons pas aider les autres ? Bien entendu, nous devons essayer d’aider tout le monde, mais il est absolument normal et naturel que d’abord, on s’occupe des siens.

Aujourd’hui, que peut encore faire l’Occident au Moyen-Orient ?

Je pense que les politiciens occidentaux portent une responsabilité particulière à l’égard des victimes de nettoyages religieux en Orient. Ils devraient faire tout ce qui est en leur pouvoir pour arrêter le djihad. Ceci signifie tout d’abord : cesser de soutenir les djihadistes. La Syrie comptait 22 millions d’habitants. Aujourd’hui, onze millions ont quitté leurs maisons. Sur ces onze millions, quatre millions sont allés à l’étranger – en Turquie, en Jordanie et au Liban, et maintenant plusieurs d’entre eux continuent vers l’Europe.

Mais où se trouvent les sept autres millions ? Ils sont toujours en Syrie, majoritairement dans les régions qui sont contrôlées par Assad. C’est pourquoi, chaque personne ayant une conscience humanitaire devrait souhaiter que le pouvoir politique qui accorde une certaine protection à ces réfugiés ne soit pas renversé. Qu’adviendra-t-il des quelque 16 millions de Syriens qui vivent actuellement dans la Syrie contrôlée par Assad si ce dernier est renversé ? Où iront-ils ? En Europe ? Madame Merkel les acceptera-t-elle tous et leur donnera-t-elle à tous une vie potable en Allemagne ? Ceci ne me semble pas réaliste.

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