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Descendre des chrétiens cachés de Kyushu et des Goto

Entretien avec Madame Jitsuo – chrétienne de 86 ans, Dozaki, île de Fukue – Archipel des Goto

Le Japon a alterné les périodes d’ouverture et de fermeture à l’étranger. Au moment où les Européens partaient à la conquête du monde, poussés par la recherche des épices et des richesses décrites dans le livre des merveilles de Marco Polo, les Japonais, d’abord très curieux de nos mœurs et réceptifs à nos religions, ont très vite fermé leurs frontières, comprenant le danger qui liait évangélisation de masse et subordination au pouvoir de l’Eglise – et donc à l’Occident. Ils ont alors, dans un grand mouvement, banni en 1612 les Européens, les jésuites, les Chinois, et interdit la religion chrétienne – la plupart du temps donnant lieu à des massacres, comme celui des vingt-six martyrs de Nagasaki. L’époque médiévale d’Edo se caractérise ainsi par une longue période de fermeture, à l’exception justement de Nagasaki qui tolérait, sur le minuscule ilot de Dejima, les seuls Hollandais. Les Japonais convertis, quant à eux, furent pourchassés. En 1865, près de deux cents ans plus tard, alors qu’on la croyait décimée et disparue, le père Petitjean redécouvre la communauté des chrétiens du Japon, qui s’était cachée tout ce temps dans le Kyushu et ses nombreuses îles, en particulier l’archipel des Goto.

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C’est dans l’espoir de rencontrer ses descendants que je me suis rendu tout d’abord à Nagasaki, ville certes nucléarisée mais aussi connue pour ses nombreuses églises, dont la cathédrale Oura. Je n’y trouvai personne… Le lendemain, je pris le bateau pour l’île de Fukue, la plus grande de l’archipel des Goto. A l’église éponyme de l’île, je ne trouvai personne non plus. Pas plus de chance quelques kilomètres plus loin, à Uragashira, petit hameau de quelques maisons et sa paroisse moderne. Si cachés ils avaient été, je décidai de me rendre à pieds au bout de l’île, au cap Dozaki, où se trouve l’église la plus ancienne de l’archipel, afin de trouver ces fameux chrétiens japonais. Deux heures de marche plus tard, au détour d’une petite route longeant la mer, j’aperçus enfin l’église de Dozaki, au fond de sa crique abritée, toute de brique, contrastant avec le paysage nippon et les plages alentours. J’y entrai : à part un musée, personne non plus. J’étais découragé. En sortant, j’entendis du reggae dans un petit bar attenant, à l’ombre des murs de l’enceinte sacrée. J’y entrai et trouvai une très vieille dame. Après avoir commandé un jus de melon – il faisait 34 degrés, avec un fort taux d’humidité – je lui demandai, à tout hasard, un peu désespéré, si elle était chrétienne. Elle me répondit directement, sans ambages, avec une franchise presque candide : « Oui ». Cette réponse toute simple m’a semblé alors comme descendue du ciel !

J’écris un livre sur les Japonais. J’aimerais beaucoup vous poser quelques questions en tant que descendante des chrétiens cachés de Kyushu. Est-ce que vous avez un peu de temps ?

Oui, bien sûr. Mais vous savez, je ne suis pas d’ici. Je suis née et j’ai grandi à Oita-ken – l’un des départements de l’île de Kyushu, dont Fukue n’est qu’une petite île éloignée. Je ne suis venue ici qu’à mon mariage, alors je ne connais pas bien les histoires du passé.

En tant que chrétienne, à quoi ressemble votre vie ici, à Dozaki ? Vous vivez juste à côté de la plus vieille église de l’archipel…

Oui, je m’y suis même mariée, à 21 ans. A l’époque, c’était très reculé. Il n’y avait pas d’électricité, pas d’eau courante, pas même la route que vous avez juste devant. Mon mari, qui était originaire d’ici – paix à son âme, il est mort à présent – utilisait son bateau pour circuler et rejoindre Fukue, plus loin, ou Nagasaki. L’eau et l’électricité ne sont arrivées qu’une dizaine d’années après moi – je devais avoir 30 ans, j’en ai 86 maintenant, c’était il y a presque soixante ans. A présent, il n’y a presque plus de chrétiens sur l’île. Vous savez, la plupart des gens sont très vieux, ils ont mon âge… On ne célèbre plus la messe qu’une fois par mois à l’église de Dozaki. Le prêtre vient d’Uragashira exprès. Nous ne sommes pas beaucoup à y assister. Le reste du temps, je fais deux petites prières par jour : une le matin, et une le soir – pas grand-chose, juste pour dire bonjour ou merci pour la journée. C’est que nous sommes tous pressés, on n’a pas le temps pour faire plus. Mais une petite pensée, c’est très bien, juste ce qu’il faut.

Les chrétiens du Japon sont longtemps restés cachés n’est-ce pas ? Est-ce que ça marque encore la façon dont vous priez ?

Vous savez, je ne suis jamais allé à l’étranger. Je ne sais pas quelles sont les différences. Quand j’étais petite, j’allais au catéchisme tous les jours, après l’école, ça prenait beaucoup de temps ! Les jeunes n’ont plus le temps de faire ça de nos jours. L’église de Dozaki, quand elle a été construite, à l’époque – en 1908 – était encore marquée par le souci de se cacher, même si c’était après notre réhabilitation, sous Meiji : nous nous trouvons sur un cap, mais le bâtiment n’est ni visible depuis la mer, ni depuis la crique. Il faut bien le chercher, ou savoir où il est pour le voir de loin. Toutes les églises des Goto se trouvent en bord de mer, loin des communautés de l’intérieur, mais discrètement abritées des flux maritimes. C’est vraiment cultiver la marginalité – être sur le bord d’un archipel au bord de Kyushu au sud de l’île japonaise principale de Honshu… Pourtant, le gouvernement de Meiji a levé notre bannissement en 1873 !

Y a-t-il d’autres particularités des chrétiens cachés et du culte contemporain ?

Je ne sais pas vraiment. C’est vrai que les étrangers s’étonnent souvent de certains détails : mettre une éponge au fond des bénitiers, remplacer parfois le Christ par des Japonais – l’église de Dozaki est consacrée au vingt-six martyrs de Nishizaki –, déguiser les statues de la vierge Marie en divinité bouddhique… Mais si on nous interrogeait, à l’époque, il fallait bien trouver un moyen de cacher les références chrétiennes – et comme le culte de Kannon, la bosatsu de la miséricorde, est très répandu, transformer Marie en déesse bouddhiste fait plutôt sens sans trop trahir sa Foi – on dit d’ailleurs plutôt la sainte Marie ici, ou, plus courant encore, Kannon Maria. Ce qui compte, c’est ce que l’on pense à l’intérieur, pas ce que l’on montre.

L’intérieur qui prime sur l’extérieur, c’est pour cette raison par exemple que vous avez construit ce bar d’inspiration baba cool juste à côté de l’église ? C’est du reggae que l’on entend, non ? Ca jure un peu avec les lieux…

C’est mon fils, Shirahama, qui a ouvert le bar. Quand mon mari est mort, il est revenu pour s’occuper de moi – mes jambes me font très mal. Je n’arrive plus à marcher longtemps, je ne peux plus me déplacer toute seule. Il est d’ailleurs en train de faire les courses, il ne va pas tarder à revenir. Il est très bricoleur : il fait tout tout seul. Il n’est pas très sensible à la religion non plus, mais peut-être qu’un jour… Même si c’est très reculé, on reçoit beaucoup de monde ici : de nombreux touristes viennent visiter l’église – des Coréens, des Américains, des Australiens, des Européens… L’endroit est devenu célèbre – retournement ironique de l’histoire pour des chrétiens cachés ! – et la fréquentation du bar est très internationale. Mon fils a marqué des choses en anglais un peu partout, mais je n’arrive pas à les lire et de toute façon, je ne parle pas la langue.

Je lis, en effet : « Slow children », en référence sans doute au mouvement « slow life » qui a gagné les grandes villes japonaises après la catastrophe de Fukushima et alimente un retour des jeunes vers les espaces ruraux – on les appelle les I-turn. Un peu plus loin, je lis « I did it because I was told it was hard to do ». Autour, tout semble vintage, bricolé avec des matériaux de récupération, comme la vieille radio qui diffuse sa musique reggae entre les planches disjointes qui nous séparent de l’église et de la plage, juste derrière. Je demande à Madame Jitsuo si je peux la prendre en photo. Elle semble surprise et flattée, se recoiffe coquettement et remet son chapeau de paille, presque exactement au même endroit. Au moment où j’appuie sur le bouton de l’appareil, elle lève la main et me fait, à 86 ans, le signe « peace » avec son indexe et son majeur, le sourire timide et fatigué mais l’air paisible et amène.

Le cap Dozaki et son église au fond de la crique – Fukuejima, Goto

Eglise de Dozaki, en brique

Martyr Saint Jean des Goto, Japonais crucifié en 1597

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