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A l’Ephad de Mougins, la question du dépistage derrière le drame

NICE (Reuters) – Quand Arnaud, la quarantaine, raccroche avec la direction de Korian à 17h00 le 30 mars, il est rassuré. Sa grand-mère, qui se trouve dans la maison de retraite « La Riviera », à Mougins dans les Alpes-Maritimes, a été mise sous oxygène mais elle se porte bien, selon l’équipe soignante.

Il n’a aucune idée qu’à ce moment-là, le virus s’est infiltré dans les lieux et qu’il a déjà fait 15 morts parmi les 109 résidents. Il l’apprend par la presse locale, une heure plus tard. La direction ne répond plus à ses appels. Ce n’est que le lendemain matin que Korian les informe du décès d’Odette Noyer.

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« C’était une petite femme extraordinaire, très sociable, elle adorait le contact humain (…) tout le contraire de ce qui est arrivé à la fin de sa vie, puisqu’elle est morte seule dans sa chambre », confie-t-il à Reuters, contenant mal sa colère.

Depuis le 15 mars, 36 personnes sont décédées dans cet établissement. Il s’agit à ce jour du plus lourd bilan en Ehpad en France et du premier cas donnant lieu à des poursuites.

Quatre familles, dont celle d’Arnaud, ont décidé de porter plainte contre X pour homicide involontaire, mise en danger de la vie d’autrui et non-assistance à personne en danger. La commune a également décidé de se constituer partie civile.

Les raisons expliquant la rapidité de la propagation du virus dans l’établissement ne sont pas clairement établies.

L’Agence régionale de santé (ARS) dit mener des investigations pour faire la lumière sur les circonstances de la tragédie. Une enquête préliminaire est en cours, confirme de son côté la Procureure de Grasse, Fabienne Atzori.

Ni la direction de Korian, ni l’ARS n’ont souhaité commenter la procédure judiciaire.

Depuis le début de la crise sanitaire, les maisons de retraite du monde entier déplorent un nombre très important de décès imputés au COVID-19.

La dramatique expérience de l’Ephad « La Riviera » sera peut-être observée de près par les pays où l’épidémie ne se trouve pas à un stade aussi avancé et donnera matière à réflexion pour adapter les politiques publiques dans ce type d’établissement.

Car en France, les pensionnaires des maisons de retraite, à la santé bien plus fragile que la moyenne, n’ont pu bénéficier de campagnes de dépistages massives. Les consignes étaient d’arrêter les tests après les trois premiers cas positifs.

La semaine dernière, le gouvernement a fait volte-face en conseillant de tester tous les résidents et le personnel dès l’apparition du premier cas confirmé au sein de l’établissement.

« Ce contexte inédit de pandémie a démontré – trop tard – qu’il aurait fallu délivrer prioritairement les tests de dépistages aux personnes les plus fragiles dont font partie les résidents d’Ehpad », regrette Richard Galy, maire de la commune. « Un tel drame ne doit plus jamais se produire en France. »

PREMIER CAS

La résidence « Korian La Riviera », située à mi-chemin entre Grasse et Cannes, offre un cadre de vie privilégié à ses résidents : un salon de coiffure, un espace cocooning, un jardin ombragé, typique des villes du sud, et des espaces collectifs couverts de photos vintage, selon son site internet.

Odette Noyer, qui habitait Romans-sur-Isère, quelque 400 kilomètres plus loin, dans la Drôme, est arrivée dans la résidence en juillet 2018. Vivant seule depuis le décès de son mari, elle tombait trop fréquemment, selon son petit-fils. Sa fille, habitante de Mougins, a voulu la rapprocher d’elle.

Le premier cas de contamination au coronavirus est notifié le 15 mars à 23h30 par le centre hospitalier de Cannes pour un résident alors hospitalisé.

Alarmé, le directeur régional de Korian, Antoine Ruplinger, se rend sur place le lendemain matin et ordonne le confinement des résidents en chambre ainsi que la mise en place d’une unité de onze lits dédiée aux personnes symptomatiques sur un étage.

Mais le virus, sournois, se propage et cette unité est rapidement submergée. Le premier décès est constaté le 17 mars.

A ce moment-là, très peu de familles savent ce qu’il se passe à l’intérieur. « Quand j’appelais pour avoir des nouvelles de ma mère, on me disait :’elle va bien, il n’y a pas de soucis' », dit Michèle Chauquil, dont la mère de 91 ans réside dans l’Ehpad.

L’établissement expliquera qu’il était difficile de jongler entre crise interne et communication en même temps.

Le maire de Mougins Richard Galy, qui est gériatre de profession, réclame dès le 20 mars un dépistage du personnel et des résidents pour pouvoir séparer correctement les patients sains des patients contaminés. Mais les tests font défaut.

Le laboratoire médical « L’Espérance », qui s’occupe habituellement des prélèvements pour « La Riviera », effectue alors 80 dépistages par jour, contre 400 aujourd’hui, explique Françoise Duhalde-Guignard, biologiste médicale.

Tous sont destinés au personnel soignant des hôpitaux ainsi qu’à certains patients symptomatiques. « A l’époque, on ne pouvait pas dépister », dit-elle.

« SONNETTE D’ALARME »

Le 24 mars, la famille d’Odette Noyer parvient à lui parler par téléphone pour lui souhaiter son 94e anniversaire.

Le même jour, Antoine Ruplinger « tire la sonnette d’alarme » dans l’établissement. Il réalise que les mesures barrière mises en place à « La Riviera » n’empêchent pas le virus de circuler.

La période d’incubation dure entre deux et quatorze jours, selon la principale agence fédérale américaine en matière de santé publique. Si la chaîne de contamination est bien arrêtée, le nombre de nouveaux cas doit diminuer.

« On continuait à voir de nouveaux cas et on ne comprenait pas pourquoi », a dit Antoine Ruplinger précisant pourtant avoir suivi à la lettre le protocole établi par le groupe. Il assure également n’avoir jamais manqué de matériel de protection.

L’établissement sollicite donc l’aide d’une équipe d’hygiène mobile auprès de l’ARS pour comprendre pourquoi le confinement ne fonctionne pas. Ces équipes ne viendront pas avant le mois d’avril, regrette-t-il.

L’ARS démentira cette information. Dans une interview accordée à Nice matin, elle dit avoir demandé à la direction à plusieurs reprises de solliciter l’aide des centres hospitaliers périphériques. Ce ne sera fait que le 28 mars, selon elle. L’ARS a refusé de répondre à nos questions.

Des spécialistes des flux d’air du centre hospitalier de Grasse se rendent sur les lieux le 30 mars pour créer des systèmes dépressifs, de façon à ce que l’air circule bien de l’intérieur vers l’extérieur du bâtiment, dit Antoine Ruplinger.

En attendant, le maire réitère ses demandes de tests. Il demande une réunion d’urgence avec l’ARS et la sous-préfète de Grasse le 31 mars, puis à nouveau le 3 avril. Ils seront finalement effectués le lendemain sur le personnel soignant et le 6 avril sur les résidents. Quatorze membres du personnel et 33 autres résidents sont détectés positifs.

Ces données ont permis à l’établissement de modifier complètement sa configuration. Une zone a été réservée aux patients COVID-19, une autre aux patients négatifs, et une autre aux pensionnaires dont les tests n’ont pas été conclusifs.

« Peut-être que tout aurait été différent si on avait pu tester dès le départ » dit Florence Arnaiz-Maumé, secrétaire générale du Synerpa – premier syndicat d’Ehpad privées – qui plaide pour un dépistage massif dans les établissements.

Pour Odette Noyer, il est déjà trop tard. Catholique pratiquante, elle ne souhaitait pas se faire incinérer. La famille est parvenue à la faire enterrer dans le caveau familial à Romans-sur-Isère aux côtés de son mari et de sa fille décédée jeune. Ses proches n’ont pas pu assister aux obsèques.

(Avec Johanna Decorse et Eric Gaillard, édité par Jean-Michel Bélot)

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